Étant donné la notoriété et l’envergure exceptionnelle de la carrière d’Elton John, ce descriptif fourni par son employée m’amena à penser que l'artiste anglais était celui qui succéderait à ceux que le prestigieux musée avait auparavant célébrés : ayant vu David Bowie Is au V&A, une exposition retraçant cette fois la carrière d'Elton John au même endroit paraissait correspondre idéalement à cette mystérieuse "célébration" dont me parlait l’employée sans officiellement la décrire. Dès lors, la perspective de mes travaux de jeunesse présentés dans un pareil contexte m'apparut être une occasion aussi extraordinaire qu’excitante. C’est l'unique raison pour laquelle j’acceptais de transférer gracieusement à mon interlocutrice l’ensemble de mes fichiers, garantissant l’accès aux quelques originaux encore en ma possession le cas échéant.

Une fois chose faite, cependant, je n’entendis plus parler de la firme d’Elton John. Au fil du temps, je conclus que le projet d'exposition avait avorté, ou qu'aucune de mes œuvres n’avait été finalement retenue dans sa réalisation, mettant ainsi pour moi un point final à cette histoire. Mais le destin a plus d’un tour dans son sac. À la fin novembre 2018, mon interlocutrice refit inopinément surface. Elle se proposait de m’envoyer un exemplaire de l’article que sa firme avait produit en série et mis en vente début septembre 2018, au moment du lancement de la tournée mondiale d’adieu d’Elton John. Ce produit mettait en avant l’une des peintures présentées dans My Elton Years.

Je réalisais que seuls les fichiers remis gracieusement un an auparavant avaient rendu possible cette opération. J’étais convaincu à l’époque que ce don me donnait une chance de participer à cette grande "célébration de la carrière d’Elton John" qui avait été évoquée. Mais en réalité j’avais juste apporté sur un plateau à cette personne le support qu’elle convoitait pour une opération commerciale programmant la vente d'un produit utilisant mon travail au profit de son employeur.

Jamais je n’aurais dû remettre mes dossiers sans clarifications sur leur usage, ma crédulité ouvrant ainsi une voie royale à une action marchande que mon interlocutrice n’avait évoquée à aucun moment dans nos échanges, alors qu’elle avait tout loisir de le faire.  

Choqué, je protestais vigoureusement. Ce qui eut pour effet de bloquer momentanément le processus d’utilisation de mon travail et des ventes générées depuis l'automne 2018. Dans un deuxième temps, je demandais à mon représentant d’entrer en contact avec la firme d’Elton John en janvier 2019. Il le fit et dénonça sur la forme et sur le fond l’opération commerciale qui avait été menée. Il faut croire que ses arguments furent suffisamment légitimes pour que le produit utilisant mon travail ne soit pas remis en vente. Et définitivement retiré.
Dans la foulée, mon représentant présenta à la compagnie d'Elton John une demande de réparation du préjudice. Au bout de deux années de discussions une offre nous fut enfin faite. Nous dûmes la décliner. Nous aurions pu y souscrire, estimant qu’obtenir quelque chose vaut toujours mieux que rien. Mais ce "rien" était objectivement préférable à la proposition inacceptable qui fut énoncée. D'un commun accord, mon représentant et moi en restâmes donc là. Nous n’eûmes aucune difficulté à prendre cette décision, mes motivations dans l’envoi de mon livre à Elton John ayant toujours été parfaitement étrangères à la notion de profit, quel qu’il soit. Je n'ai jamais nourri aucun regret quant à cette décision.

La seule chose que je déplore, c’est d’avoir eu affaire à cette employée d’Elton John qui me parlait de grande célébration lorsque les faits démontrent qu'elle n’avait qu’une chose en tête  : générer un profit grâce à mon travail, et ce en prenant soin de ne pas me donner en amont de détails sur son projet futur. Et, vis à vis d’Elton John, d’avoir pris l’initiative de lui envoyer un ouvrage conçu avec les meilleures intentions du monde, pour n’assister en définitive qu’à un naufrage.