Voici les témoignages de certains auteurs, issus de disciplines artistiques diverses, qui se sont exprimé sur l’art. Il s'agit de musiciens, auteurs-compositeurs et interprètes. Ou encore de cinéastes, architectes, écrivains, essayistes dont l’œuvre, l'art et la réflexion ont exercé une influence sur ma vocation, impactant d'une manière ou d'une autre le travail pictural auquel cette dernière a donné naissance au fil du temps.
Leurs paroles ne prétendent pas être fondamentales, définitives ou même érudites. Si pour ma part j’apprécie ces déclarations, c’est pour leur authenticité, parfois leur humour ou leur poésie, toujours leur absence de dogmatisme. Lorsqu'elles semblent tranchées, c'est parce qu'elles rejettent la compromission, simplement. Elles ne sont jamais prétentieuses, élitistes ou obscures. Elles ont donc les couleurs de ce qui pourrait définir l’art, finalement.
En ce qui me concerne, lorsque je regarde les formes d’art du siècle dernier puis de celui en cours, apparaît me semble-t-il une mutation où la simple notion "d’art" est devenue si multiple et si floue que l’appellation a fini par se vider de son sens en révoquant toute possibilité d'identification. Notamment dans la catégorie de l'art portant le label de "contemporain". Cette discipline, cet environnement, cette manifestation polymorphe (je ne sais trop comment définir cet art réputé "contemporain"), est peuplée d’expressions revendiquées comme "artistiques" par leurs auteurs, sans que le spectateur profane, ou parfois même l'amateur tant soit peu éclairé, ne comprennent forcément ce que ces expressions ont à voir avec ce que l'esprit analyse ou ce que les sens ressentent intuitivement comme étant "de l’art".
Ces expressions, ces manifestes et leurs auteurs sont partout sous nos yeux, depuis des décennies. Institutions, marchands, foires et galeries les plébiscitent. C'est un fait. Mais à quoi ces œuvres correspondent-elles, et quel en est le sens premier, ou occulte? Bien souvent, je ne saurais le dire - ignorance imputable à mon absence de culture en ce domaine, probablement.
Sometimes I see the half and not the whole
Sometimes I see the face and not the soul
Parfois je vois la moitié et pas le tout
Parfois je vois le visage et pas l'âme
Shawn Colvin
"New Thing Now" (" A Few Small Repairs" - Shawn Colvin / 1996)
Le ressenti de ceux que je cite dans cette page (et dont le travail plaide incontestablement pour la légitimité de leur parole en tant qu'artiste et/ou intellectuel), m'a aidé à clarifier cette confusion en débroussaillant mon propre chemin. Grâce à l’esprit qui interroge, explore et formule, grâce à l'oreille qui organise le son en le faisant devenir musique, grâce à l’œil et la main qui transmutent la matière en dessin, en peinture, en image ou en volume, grâce à l’exemple prodigué et au talent démontré par ces auteurs et artistes, j’ai parfois réussi à envisager un peu plus la forêt, et à moins considérer l'arbre. À leur instar, je m'efforce d’oublier le visage pour davantage entrevoir l’âme.
Cependant, certaines questions persistent. Devient-on un artiste? Ou bien cette vocation, cette dimension sont-elles innées, prédestinées par les étoiles? N'est-on proclamé artiste que par décision des sachants, ou s'auto-proclame-t-on artiste parce que (ou aussitôt que) l'on produit un "travail" quelconque, quels que soient sa nature et sa qualité, supposée ou avérée? Et dès lors, qui a autorité pour décréter ce travail comme étant une "œuvre" ?
Ces questions se posent depuis toujours, mais depuis plus d'un siècle (comme le temps passe...), elles se posent sous l'éclairage de l’avènement des urinoirs, puis des étrons en conserve, de la mostra d'animaux jadis vivants mais mis à mort et désormais tronçonnés pour afficher leurs entrailles pétrifiées dans des aquariums de formol, de l'exhibition d'un chien agonisant dans une foire d'art contemporain au nom d'une "réflexion" se revendiquant l'apogée d'une pensée conceptuelle qui affirme se préoccuper de nobles dénonciations sociétales en laissant ainsi l'animal sans boire ni manger attaché à un mur, des bananes fraîchement sorties de leurs cageots et accrochées aux parois des mêmes foires en tant que "œuvres", des jouets sexuels géants travestis en arbre de noël, des ballons-teckels en acier inoxydable échappés de Disneyland et autres tampons hygiéniques multicolores faisant figure de tulipes rassemblées en bouquets monumentaux à message pseudo-humanitaire, brandis vers un ciel sommé de bénir ce que lui tend ici la terre.
Ces manifestations, au delà de ce que l'on peut en penser en bien, en mal, ou en rien du tout, ont au moins le mérite d'établir une chose, et une seule qui ne prête pas à débat : visiblement, l’œuvre ne fait plus l’artiste. Le label "d'artiste" suffit à qualifier la production, et la légitime en tant que "œuvre", au cœur d'un "business" où, dans la soute, assistants et usines-à-produire constituent les chevilles ouvrières invisibles d'une mécanique bien huilée, alimentant dans l'anonymat les cycles de fabrication d'un produit dont le gigantisme systématique sert de cache-sexe à la pauvreté du sens, quand ce n'est pas à son absence flagrante.
À ce panorama (non exhaustif) s'ajoute que bien souvent, lorsqu'on entend parler "d’art" de nos jours, on entend d’abord et surtout parler de combien cela vaut. C'est, faut-il croire, la seule question qui vaille (et la seule que souvent l'on pose à un artiste, au vu de ce qu'il produit : "Tu vends?" -comprendre : "T'arrives à vendre?"- ou alors, en plus direct : "Combien tu vends?"). Apparemment, le "combien ça vaut" est devenu l'ultime critère de validation d'un travail labellisé artistique, critère imposé par les grandes messes de vente d'art qui se tiennent dans les temples des places financières mondiales -ceux qui font et défont les évangiles de la cote au gré des caprices du dieu dollar.
Ces choses sont-elles de l'art? Là encore, seule certitude objective : c'est de l’argent.
Art. Argent.
Ça commence pareil, mais là où le premier, pudique, s'abrège, s'économise et se suffit à lui-même, le second se prolonge, s'étale et corrompt tout ce qu'il touche.
Art béni par le Marché, lui-même adoubé par l’Institution, qui a pouvoir de porter aux nues et de sanctifier la transmutation de métaux vils en métaux précieux. Celle orchestrée par les marchands s'affairant à fixer la cote la plus haute possible à l'alliage travesti, passeport pour le sonnant et trébuchant. Celle soutenue par les courtisans institutionnels applaudissant aux habits neufs de l'Empereur contemporain, pourtant souvent nu comme un ver dans sa cour où, contrairement au conte, aucun bambin n'ira jamais dénoncer l'imposture et dire la réalité, à savoir le néant de l'inexistant acoutrement que tout le monde pourtant applaudit -car qui l'écouterait ? Marchands du temple et Art contemporain. Alchimistes modernes et Pierre philosophale de ces temps artistiques déclarés et pérennisés "contemporains" depuis l'après-Seconde Guerre mondiale. Contemporains donc, mais de quoi? Comment peut-on encore adouber une œuvre du sésame "contemporain" (certes préalable indispensable à la considération et la reconnaissance dans ce monde tel qu'il est), lorsqu'elle accumule déjà plusieurs décennies au compteur?
Les constats et questionnements que génère ce panorama accouchent à leur tour de tant d'interrogations apparemment sans réponses que je me suis résolu, en conclusion, à ne retenir qu’un seul repère pour tenter d'identifier la condition artistique, dans cet océan affranchi de toute boussole. Ainsi, la seule ébauche de définition de ce qui pourrait caractériser l’artiste et sa vocation (sans être néanmoins spécifique à l’Art, puisque transversale à bien d’autres disciplines), est la suivante. Pour produire son art, l'artiste doit impérativement avoir une vision, affirmée. C’est ce qu’il voit qu’il doit transmettre, pas ce qu’il voit là où on lui dit de regarder. Et il doit avoir la foi me semble-t-il, ou ce que l’on peut aussi appeler le feu sacré. Il faut croire en soi et en ce que l’on fait, malgré évidemment le doute qui accompagne chaque création et les accidents de parcours et les erreurs qui les corrompent (sur ce point précis, Stanley Kubrick et Joni Mitchell se prononcent de façon lumineuse, je trouve). Il faut entretenir ce feu, malgré la fraîcheur de l’accueil éventuellement réservé au travail par les amateurs éclairés, les critiques ou les simples spectateurs, et desquels l’artiste avait pu espérer une compréhension, voire une adhésion, mais qui au final demeurent insensibles à ce travail ; c’est difficile lorsqu’une œuvre ne trouve pas d'écho, lorsque le succès n’est pas nécessairement au rendez-vous d'une exposition et qu’en revanche, indifférence ou rejet eux le sont. Comment ne pas abandonner en cédant au découragement, dans ce cas ? Hé bien, il faut puiser en soi la force de persévérer en conservant un minimum de certitudes sur la rectitude de son propre chemin et l’intérêt de sa propre production, avec bien sûr un minimum équivalent de lucidité sur les insuffisances qu'on y décèle, le tout sans se réfugier dans le confort de l’hubris, ou l’aveuglement de l’arrogance. Un équilibre difficile à atteindre. Mais totalement indispensable si l’on entend que l’aventure continue. Pour moi, j’ai eu la chance qu'elle ne s'arrête pas en route en écoutant une fois de plus Joni Mitchell, et cette fois à travers les mots de Mark Twain que la musicienne canadienne m’a fait connaître dans sa composition —If, parue dans l’album Shine en 2007.
Si tu peux t'accommoder du triomphe et du désastre
En réservant à ces deux charlatants le même accueil
Alors le monde t'appartient
Avec tout ce qu'il peut t'offrir
If you can meet with triumph and disaster
And treat these two impostors just the same
Then the Earth is yours
And everything that's in it.
Joni Mitchell
"If" ("Shine" - Joni Mitchell / 1996)
Appréhender l’échec et le succès et les traiter avec la même indifférence est la seule force qui permet de trouver une esquisse de réponse aux grandes questions soulevées par l’existence, notamment celles que l’Art suscite. Et seule la foi me semble-t-il, ou ce "feu sacré" (peu importe le nom qu'on leur prête) procurent cette force, l’alimentent, à défaut de déboucher sur une compréhension, une révélation épiphanique de ce que sont l’Art et l’œuvre. Et comme tout ce qui précède indique clairement que cette définition, décidément, continuera à m'échapper tel un graal qui se dérobe, si ce n’est sous la forme de cette sorte d’intuition aux contours plus ou moins nets que j’ai partagée dans le paragraphe précédent, je remercie en conclusion ces quelques artistes et auteurs cités ci-après d'avoir exprimé une opinion claire et intelligible sur la question. Leurs commentaires m’ont irrigué, parfois charmé, toujours fait réfléchir, à défaut de m’apporter des certitudes ou des réponses définitives.
Puisque d'évidence, il n'y en a pas.
Lorsqu’un artiste dit que l’œuvre de tel ou telle autre artiste l’influence et féconde son propre travail à venir, cela correspond je pense à une forme d’humilité assumée. —
Tilda Swinton / extrait de "Le Geste & le Genre " (2023) — Documentaire-portrait de Pierre-Paul Puljiz.
C'est la fraîcheur de la jeunesse qui fait la qualité d'un peintre (…) Si des peintres âgés gardent leur jeunesse – et ceci concerne peut-être plus encore la peinture que les autres disciplines artistiques -, c'est parce qu'ils n'ont jamais grandi, ils n'ont jamais lâché leurs pinceaux, et une peinture supposée réussie est une peinture qui redonne jeunesse à celui qui la regarde. C'est l'œuvre d'une jeune personne destinée à le rester, avec pour fonction de transmettre ce souffle de jeunesse. Si c'est une bonne peinture, en la voyant, on devrait s’extasier, pousser un grand «oooh!» elle devrait vous stimuler, vous donner l'énergie de vous ruer sur vos pinceaux, plus que tout autre chose. —
Interview par Jeff Plummer & Marty Gets (1989)
Quels qu'aient pu être les défauts ou échecs dans mes projets antérieurs, ceux-ci ont toujours été source d'inspiration pour les projets suivants. —
(...)
Je pense qu'un total refus de coopérer (avec l'institution) est vital pour un artiste, -par pour des raisons perverses, mais juste pour protéger sa vision.
Les considérations de la corporation qui tient le marché n'ont rien à voir avec l'art -ou la musique. (…)
Dans notre culture, la majorité de l'art contemporain se caractérise par sa vacuité et sa provocation gratuite. C'est la raison pour laquelle j'évite les galeries, même dans la simple perspective d'exposer mon travail.
Lorsque art et argent se confondent, cela donne beaucoup de douleur, la douleur procurée par l'ignorance, et je ne veux pas avoir à me confronter de nouveau à cette ignorance-là. —
Interview de Robert Hillburn pour le Los Angeles Times
(2004 )
L'Art exige la passion.
Pour communiquer idéalement, il vous faut vous approcher de la vérité, plus que de toute autre chose. Il vous faudra trouver le moyen de vous relier aux quatre Pôles spirituels, le cœur doit s'exprimer, l'intellect doit s'exprimer, la sensualité et les sens doivent trouver leur place. Et enfin vous devrez faire une place à la concision et la clarté. —
Interview BBC2 Grey Old Whistle Test (1985)
Un jour à New York, Leonard (Cohen) et moi étions assis dans Washington Square avec un de ses amis sculpteurs - je crois que son nom était Rosencrantz -, et j’ai dit à celui-ci: "Je n'aime pas la façon dont je dessine". Il m'a dit: "Dessine sans regarder le papier". De ce simple conseil est né une nouvelle façon de voir et de dessiner, que j'ai adoptée pendant plusieurs années.
Joni Mitchell / "Voices" (2000) - Catalogue d'exposition de The Mendel Gallery - Saskatoon's Art Gallery / Canada
Si tu peux croire en toi
Lorsque tout le monde doute de toi
Et en même temps être à l'écoute
De leurs doutes.
Si tu peux t’accommoder du triomphe et du désastre
En réservant à ces deux charlatans
Le même accueil
Alors la Terre t'appartient
Et avec elle, tout ce qu'elle a à t'offrir.
Mais surtout, je sais
Que dés lors tout ira bien pour toi,
Tout ira bien.
Car tu sais te battre
Et tu sais voir au delà des
apparences,
Tu sais te battre.
Et tu sais voir au delà des
apparences. —
Joni Mitchell
"If" ("Shine" - 2007)
D'après le poème “If” de Rudyard Kipling
Q: Est-il arrivé que des peintures aient inspiré une composition musicale, qu'il y ait eu une corrélation directe?
R: Pas depuis que j'ai commencé à travailler de manière abstraite.
(Une peinture figurative…), c'est juste une image faite de mille mots, c'est juste ce que c’est, et pas plus. Vous ne pouvez pas faire mieux que d’aboutir à une petite représentation figée.
Avec l’abstraction, on se rapproche plus de la musique, c'est comme d'improviser des accords… L’harmonie… La juxtaposition des couleurs… Le gros son à fond, plein volume! (rires).
Joni Mitchell (Interview)
"Whistle Test Extra » de la BBC2 - part 3/4
(1985)
Le mot "art" est un abrégé de "artificiel"… Le nec plus ultra de l’art serait donc d'être aussi authentique que possible au sein de cet univers artificiel… D'une certaine manière, l'art est un mensonge qui vous guide vers la vérité.
Aux alentours de 1993 (…) lors d'une conférence canadienne sur l’art (…), j'ai été invitée en tant que conférencière, j’étais supposée parler avec mon cœur de l'art et de l'éducation (…) Eh bien, cette nuit-là, j'ai parlé avec mon cœur comme demandé, et dans le StarPhoenix le lendemain, un peintre de la région a annoncé qu'il n'avait pas besoin d'une riche rock star du haut de son perchoir pour lui apprendre qu'il était un vrai artiste. Je suis retourné à Los Angeles et j’ai réfléchi sérieusement à la question. J'avais dit dans mon discours que l'éducation à l’école de Calgary à l’époque ne répondait ni à mes besoins ni à mes attentes, et j'ai donc loué mon professeur de septième année à l'école Queen Elizabeth, M. Kratzman, pour m'avoir enseigné dès onze ans que si je pouvais peindre avec un pinceau, je pourrai peindre avec des mots, et pour m'avoir appris à peindre et à écrire avec mon propre sang.
Dans les années 1990, j'ai complété en solo cette éducation qui me convenait. Et tous les voyages que j’ai pu faire en tant que musicienne m'ont permis d'étudier de près les grands classiques et chefs-d’œuvre, d'Amsterdam à Stockholm et de Florence à Paris et Rome. À ce jour, je continue à étudier.
Joni Mitchell / "Voices" (2000) - Catalogue d'exposition de The Mendel Gallery - Saskatoon's Art Gallery / Canada
À la fin des années 70, alors que je travaillais avec le regretté et immense compositeur/bassiste Charles Mingus, je suis allée visiter Georgia O’Keeffe à Albuquerque au Nouveau-Mexique. Là, j'ai eu l'occasion de voir sa dernière peinture, et les invendus de toute une vie d’expositions.
Parce qu'une grande partie de ce travail n'était pas son meilleur, cela m'a encouragé à peindre à nouveau.
J'ai fait une série de peintures de Georgia et de Mingus, que j'ai détruites pour la plupart, et dont certaines ont été vendues à Tokyo, à des prix plutôt extravagants.
Joni Mitchell / "Voices" (2000) - Catalogue d'exposition de The Mendel Gallery - Saskatoon's Art Gallery / Canada
Je ne crois pas dans un art que seules quatorze personnes sur terre sont susceptibles d'apprécier.
Joni Mitchell / "Rolling Stone Magazine" (26 Juillet 1979) - "Her First Interview In Ten Years"
Je pense à moi en tant que peintre, pas en tant qu’artiste. Vous voyez, "artiste", ce n’est qu’un joli mot générique pour tout ce qui est créatif. (…) Si je m’envisageais seulement en tant que peintre, alors je choisirais peut-être des thèmes plus d'actualité, avec des choses comportant un commentaire sociétal, véhiculant un sens précis. Mais puisque la poésie s'occupe de cela dans la musique, comme par exemple sur mon album "Dog Eat Dog" - que tout le monde a détesté de toute façon-, vous voyez, les peintures elles restent dans leur pureté… Et comme je ne suis pas considérée dans le monde de l'art, que je n’en fais pas partie et que je m’en contrefiche étant donné que ce milieu obéit à tous les dictats superficiels liés aux considérations purement commerciales... -vous savez ce milieu-là représente une escroquerie comparable, voire même pire que celle de l'industrie musicale-... et heureusement j'ai pu garder ma musique assez intègre quoi qu'on en pense, mon label a même été assez aimable pour m'accorder la capacité de garder la main, personne issu du corporate n’est jamais intervenu pour se mettre à décorer ma musique à sa façon, donc... Mais le milieu de la peinture, lui, il essaierait, parce que si quelque chose se vend, alors… vous savez, c'est un milieu d’une telle brutalité ! (…)
Nous vivons un siècle où l’image a tout envahi, des images, des images, des images, des images partout et tout le temps, et donc il y a surenchère et tout doit être toujours plus choquant pour attirer l'attention. C’est pourquoi il me semble que certains artistes font tout pour être vus, pour être remarqués ils font des choses uniquement dans le but de choquer – et ça, ça ne m'intéresse pas. Je ne suis pas particulièrement ambitieuse pour ma peinture, tout ce que j'aime en fait... c'est de... C’est si je vois mon mari et le chat qui dort pelotonné contre son cou, et que je me dis "oh, quelle belle...", disons, "quelle belle… composition", alors je peins mon mari et mon chat. Mais si je faisais partie du monde de l'art aujourd'hui pour de vrai, vous croyez vraiment qu'on me laisserait faire ce type de choses ? Alors, la beauté de ne pas devoir se soucier de ces gens-là est de pouvoir faire ce que j'aime, juste de me préoccuper de l'impulsion et puis peindre, comme on le faisait en ces temps d’avant le monde actuel, qui lui ne fait que nous noyer sous son déluge d’images.
Joni Mitchell (Interview)
"Joni Mitchell VH1 Interview" / Time code: 18:30 & 20:25
(1991)
En fait, on crée une œuvre,
et au moment où cela arrive,
on a une idée précise,
mais lorsque c'est fait, c'est parti entre les mains
d'autres personnes,qui vont l'interpréter,
la considérer et la voir d'une certaine façon...
Vous voyez, c'est comme une peinture (…)
Je suis persuadée que la moitié du temps
les gens regardent une peinture,
et n'ont pas la moindre idée
de ce que l'artiste avait en tête en la faisant...
...et je ne suis pas sûre que cela ait de l’importance,
je pense que si elle vous apporte quelque chose,
si elle interpelle vos pensées,
et bien alors, il me semble
que la mission est accomplie. —
Sérieusement, l'art (…) a toujours été pour moi une nourriture pérenne. Je l'utilise. Cela peut changer la façon dont je me sens le matin. La même œuvre peut me changer de différentes manières, en fonction de ce que je vis.
(...)
Le plus intéressant pour un artiste est de puiser dans les débris d’une culture, de regarder ce qui a été oublié, ou qui est mésestimé. Dès que quelque chose est homologué, cette acceptation intègre les codes de la tyrannie du "mainstream", et la force de la chose alors s'évanouit.
(...)
Mais le succès dans le domaine de l’art semble consister surtout à connaître et passer de la pommade aux personnes qui comptent. Si un artiste plasticien parvient à parler de son travail de façon intelligible, il peut dire aux collectionneurs ce qu’ils doivent penser de ce qu’ils achètent. —
"New York Times"
14 juin 1998
Interview de Michael Kimmelman
Celui qui crée est celui qui refuse le consensus. (...)
Celui qui crée sait qu'il doit se dresser, seul. —
Extrait de "La Source Vive"
("The Fountainhead")
Ce qui ne vaut pas la peine d'être contemplé dans la vie ne vaut pas la peine d'être recréé par le prisme de l’art. —
(...) L’art de chaque époque ou culture est un reflet fidèle de la
philosophie de cette culture.
L'art (y compris la littérature) est le baromètre d'une culture. Il reflète la somme des valeurs philosophiques les plus profondes d’une société: non ses notions martelées et ses slogans, mais une vision éphémère, momentanée de l’homme et de l’existence.
Extraits de "The Romantic Manifesto. A Philosophy of Literature. Art and Cognition" - 1975
En tant que re-création de la réalité,
une œuvre d'art doit être représentationnelle ;
sa liberté de stylisation est limitée
par l'exigence d’intelligibilité ;
si elle ne présente pas un sujet compréhensible,
l’œuvre cesse d'être de l'art.
(...)
Réduire la conscience de l’homme au niveau
de ses sensations, en niant sa capacité
à comprendre et à intégrer,
constitue l’intention première qui se cache
derrière la réduction du langage aux grognements,
de la littérature à des "humeurs",
de la peinture à des barbouillages,
de la sculpture à des masses de pierre brute,
de la musique à du bruit.
Extraits de "The Romantic Manifesto. A Philosophy of Literature. Art and Cognition" - 1975
Les différentes branches de l’art servent à unifier la conscience de l’Homme en lui soumettant une vision cohérente de l'existence. Que ce point de vue soit vrai ou faux n’a rien à voir avec une question d’esthétique. La matière essentiellement esthétique est de nature psycho-épistémologique: c’est l'intégration d'une conscience conceptuelle.
(...)
Et voici donc l’Art "moderne", exemple parfait
d'un domaine d’activité qui fonde sa légitimité sur l’Intimidation : afin de prouver que ses promoteurs possèdent une vision particulière qu’ils sont les seuls à comprendre en leur qualité auto-proclamée "d'élite" mystique, les spectateurs-amateurs du genre rivalisent en exclamations bruyantes, s’ébaubissant devant la splendeur d'un bout (maculé) de toile vierge.
Extraits de "The Romantic Manifesto. A Philosophy of Literature. Art and Cognition" - 1975
Dans notre culture, l'image de celui
qui se bat pour arriver à quelque chose
est intrinsèquement négative.
(…)
Quand bien même on lui reconnaîtrait
un certain talent, la réaction habituelle
(vis à vis de son travail) est la peur :
peur de faire confiance à son propre jugement,
peur de se compromettre aux côtés
d'une quantité négligeable.
Dans ce système, donc,
le type inconnu est destiné à le rester.
Extrait de
"L'Homme Qui Voulait Vivre Sa Vie »
("The Big Picture")
Je ne fais pas l'architecture
qu'on attend de moi, je fais celle qui me plaît. —
(…) Les règles établies sont la pire des choses. Il faut refuser de les suivre. —
Tout n'est réellement qu'invention. (…)
J'ai lu une explication très convaincante
du poète Beaudelaire qui disait que la surprise,
l'étonnement devaient être les
caractéristiques principales d'une œuvre d'art. —
Paris-Match – 2005
J’aime dessiner.
Ce fut le dessin qui m’amena à l’architecture.
L’architecture existe dans ma tête.
Ma main n’est que le véhicule de ma pensée. —
Connaissance des arts - 2005
James Joyce a écrit
une merveilleuse phrase:
"L'accident est le portail vers la découverte".
Si vous savez utiliser cet accident, vous ajoutez une dimension à ce que vous faites.—
Assurément, il y a une importante partie
de l'Art contemporain qui n'est pas intéressante,
où l'obsession de l'originalité a produit
un type d'œuvre qui est peut-être original
mais nullement intéressant.
(…)
C'est de l'art mais ce n'est pas étonnant,
et cela ne vous remplit ni d'admiration ni de surprise.
Je pense que dans certains domaines,
la musique en particulier, un retour vers le classicisme
est nécessaire afin d'arrêter cette recherche stérile
de l'originalité.—
Kubrick (1976 / 2001 / 2011) par Michel Ciment
La couleur ne doit pas être différente
d'une voix qui commence en sourdine,
et atteint finalement la force d'un cri.
La couleur doit exister pour une raison précise,
et pas simplement pour en mettre plein la vue.
Elle doit devenir un acteur, la partie définie d'un tout.
Elle doit fonctionner comme un acteur,
et non comme un décor. —
Interview de Virginia Wright, article non daté
du "Hollywood Citizens News"
Si je ne suis pas moi-même, qui donc le sera à ma place?
"Alfred Hitchcock: Interviews
(Conversations With Filmmakers Series)"
By Sidney Gottlieb
Duchamp a inventé le "ready-made" en 1913 mais le plus connu est l’urinoir de 1917 : un objet appartenant à la vie quotidienne, détourné de sa fonction utilitaire, devenant œuvre d’art par la volonté de l’artiste. Ce qui compte dans l’Art Duchampien, n’est pas d’incarner une inspiration (avec des émotions, idées, rêves, visions etc.), dans une matière grâce à un travail formel, ça, c’est la définition millénaire de l’art.
Avec Duchamp, l’idée prime la forme, c’est l’intention qui compte : l’art a une base conceptuelle.
Duchamp ne crée plus, il décrète.
L’art dans sa première définition vise, pour faire court, la Beauté et la célébration du monde.
Duchamp, après ses "ready-made", n’a que faire de la beauté. Celle-ci sera remplacée par une transgression/provocation tous azimuts. C’est même devenu la définition de l’AC (Art contemporain) : une transgression de l’Art devenue un art de la transgression.
Il y a toujours eu, à travers l’histoire, des "prescripteurs" qui entraînaient l’adhésion d’un public hésitant ; cependant le prescripteur, jusque-là, misait sur le contenu et la qualité intrinsèque de l’œuvre. (…) Il s’est produit une évolution drastique : c’est maintenant et principalement la qualité des personnes et des institutions qui s’intéressent à une œuvre, qui en détermine la valeur.
(…)
Dans un monde de parvenus, l’art dit contemporain est un signe de reconnaissance facile : il permet d’exhiber un signe de culture qui épargne l’effort d’en acquérir une.
Engloutir des sommes folles pour une toile blanche (…) prouve la fortune, la prodigalité et l’audace de l’acquéreur.
(…) Certains ont aussi tenté un parallélisme entre le marché de l'art et la Bourse, où certaines sociétés sont surcotées et d’autres, quoique fort innovantes, ne figurent même pas.
Ainsi en est-il des artistes sur le marché.
(En France), le Ministère de la culture affirme de toute son autorité (…) que rien (de valable) n’existe en dehors de ce qui est référencé et promu par ses services. En dehors de la mouvance de l’Art conceptuel et du Néodadaïsme : vous n’existez pas. Vous n’êtes pas contemporain, vous êtes mort.
(…) En France, les réseaux intellectuels et médiatiques produisent des discours qui, à partir des années 90, délégitiment les artistes de l’œil et de la main, les non duchampiens. Impressionné par ces campagnes de presse, un collectionneur rapporta une toile convoitée à son auteur, disant qu’elle lui plaisait toujours mais que désormais "la peinture, c’est fini".
(…) Réduire trop crûment l'Art contemporain à un actif financier comme un autre le banaliserait et lui porterait préjudice. Entretenir la fiction d’un art indivisible ou les stars de l’art contemporain seraient les dignes successeurs de Puget, Rodin, Delacroix ou Monet, dissimule un produit de placement, apothéose du monde marchand ou il suffit de nommer la valeur pour qu’elle soit, comme Duchamp le fit, décrétant des objets usuels "ready-made", donc œuvres d’art.