propos de Hejira dans Melody Maker (magazine spécialisé anglais, critique concernée page précédente ou sur lien Hejira en amont), aura ainsi ces mots malheureux sur Mingus dans l'édition du 16 juin 1979 du Melody Maker : "Ce disque, en vérité, voit Joni Mitchell tourner le dos à une popularité acquise auprès de la masse, en quête d'un style plus personnel, mais qui ne rencontre en définitive que l’idiosyncrasie".
On notera ici l’emploi d'un mot savant qui probablement se voulait, telle une estocade, définitif. Mais qui malheureusement pour celui qui l'utilise ne présente strictement aucun sens (en tout cas en français) dans le contexte de sa phrase : d’après le dictionnaire, l’idiosyncrasie ne désigne pas autre chose que le comportement particulier et la "personnalité psychique" propre à un individu, bref sa singularité. Alors on se demande bien pourquoi un tel reproche est ainsi fait à Mingus, si le tort principal de l’album est d'affirmer l’originalité propre à la personnalité de son auteur!… C'est tout de même, en règle générale, la moindre des choses qu’on attend d’un artiste et de sa production -qu’on soit éminent critique comme M. Watts ou simple lecteur comme moi et tant d'autres. Pour être totalement honnête, il est vrai que le mot "idiosyncrasy" en anglais peut aussi vouloir désigner l’ensemble des "tics", des "ficelles" décelables dans la production d’un artiste qui tourne en rond et qui applique donc des "recettes" stylistiques artificielles, systémiques et récurrentes dans la pratique de son art. Si d’aventure c’était là le sens spécifique que Michael Watts entendait donner à ce mot dans la langue anglaise à ce stade précis de sa critique, quel dommage que sa propre "idiosyncrasie" de journaliste ne l’ait point encouragé à utiliser un langage plus clair et plus simple pour cerner sa pensée.
Par exemple, vouloir nous faire comprendre que Joni Mitchell se retrouvait à son avis coincée par ses velléités expérimentales dans une impasse créative (ou qu’il estimait qu’elle se piégeait elle-même dans les méandres d'une quête gratuite d’originalité à tout prix) aurait au moins eu un sens -à défaut de recceuilir les suffrages de ceux en désaccord avec cette analyse.
Mais l’emploi de ce mot "idiosyncrasie" (qui résonne ici comme une sentence de peine capitale) apparaît simplement déplacé et obscur dans ce contexte. Son utilisation n’est peut-être que l’exemple de ce qui arrivait parfois lorsqu’un chroniqueur professionnel se livrait à la critique du travail de Joni Mitchell : il était probablement tenté de se mettre au diapason de son excellence littéraire. Quoi qu’il en soit, et quelle que soit le sens de ce terme "idiosyncrasie" utilisé pour qualifier Mingus, il rate sa cible. Car fort heureusement pour Joni Mitchell et malheureusement pour Michael Watts, la postérité a clairement statué que Mingus n'était pas idiosyncrasique, mais tout simplement un pur chef-d'œuvre, devenu un classique.
N’étant moi-même pas critique musical, et ne m’exprimant qu’au nom de mon ressenti et de ma passion pour l’œuvre de Joni Mitchell, je ne vais donc pas tenter d'évaluer dans ce chapitre, un par un, les albums de la musicienne canadienne, car toutes les pages du Web n'y suffiraient pas, et nombre d'entre elles le font déjà avec talent et justesse (pour cela se reporter au site www.jonimitchell.com où figurent nombre d'avis documentés et de critiques intéressantes, y compris celles qui ne sont forcément toujours positives sur le travail de la musicienne, comme celles de Melody Maker à propos de Mingus…).