Accaparée par cette mission, Silvana ne pouvait donc pas assurer la traduction de mes questions à Niemeyer en portugais, si cela s’était révélé nécessaire ; très alarmé par les révélations de Bruno Foznandos, je pris cette précaution ultime parce que j’avais préparé mes questions uniquement dans ma langue maternelle, Oscar Niemeyer la pratiquant suite à sa décennie d’exil politique en France dans les années 1970.
Bien m’en prit : dès le début de l’interview, lorsque je commençai à m’adresser à Oscar Niemeyer en français, l’architecte coupa en disant “non, non... en portugais”. Ana Cristina, très professionnelle et très à l’aise, enchaîna prestement en lisant en portugais la version anglaise de mes questions françaises d’origine. Tournage et interview se déroulèrent ainsi, en suivant ce protocole ; mais au bout d’un quart d’heure, Niemeyer qui n’avait eu d’yeux jusque là que pour Ana Cristina et Silvana Zilli, se tourna vers moi et se mit à répondre en français aux questions d’Ana Cristina, m’indiquant ainsi clairement que j’avais passé le test avec succès et qu’ainsi il m’encourageait à reprendre la main. Ce que je fis avec le plus grand bonheur.
C’est ainsi que je fis la rencontre d’Oscar Niemeyer et pu passer quatre des heures les plus émouvantes et passionnantes de mon existence -et c’est ainsi que j’échappais au destin tragique qu’avaient pu connaître mes prédécesseurs, quelques mois auparavant.
Je revis Ana Cristina en 2010 lors du vernissage de mon exposition à Brasilia, et nous pûmes échanger avec émotion sur ces jours passés à Rio de Janeiro, et les moments magiques de notre entrevue avec Oscar Niemeyer, moments de grâce auxquels le travail et la persévérance de cette enfant de Brasilia au large sourire et aux grands yeux verts et pétillants avaient donné naissance.