dépourvus les malabars de service censés protéger la vedette des ardeurs de ses fans-, avec un bouquet de roses rouges qu'il offrit à Joni Mitchell.
Celle-ci s'apprêtait à quitter le devant de la scène avec ses musiciens vers la zone backstage, et donc seuls un mètre ou deux la séparaient du premier rang où je me trouvais. Ce facteur fit qu'en dépit du brouhaha dans laquelle était plongée la salle et du vague fond musical qui accompagnait la sortie des spectateurs, je pus clairement percevoir l'échange entre le jeune homme et Joni Mitchell, et il me sembla bien entendre cette dernière lui demander, après s'être saisie du bouquet et l'avoir remercié : "Are you Jacques ?". Chose à laquelle le garçon, incapable de comprendre le pourquoi de cette question, avait répondu par la négative.
A ce jour, je ne pourrais évidemment pas mettre ma main au feu que la chose se passa exactement comme cela entre Joni Mitchell et ce garçon, mais quoi qu'il en soit et quoi qu'ils se dirent, ce que j'en compris fut pour moi un signe. Ce geste de Joni Mitchell me parut être un encouragement à tenter de la rencontrer "pour de vrai", alors qu'en cet instant précis j'étais totalement paralysé par la peur, la timidité, et surtout la certitude qu'une rencontre n'avait aucun sens, puis qu'elle ne pouvait survenir que dans ce rapport aussi totalement artificiel que superficiel du "fan" à la "vedette", ce qui a priori excluait une discussion sur sa musique et ses textes, et les peintures qui en étaient nées. Or le papillon que j’étais se trouvait attiré par la lumière réelle, et pas par les paillettes de l'abat-jour qui la filtrait.
Mais forts de cet incident, mes amis surent se montrer persuasifs, et nous allâmes –moi tremblant comme une feuille, eux morts de rire-, attendre Joni Mitchell dans le lobby de l'hôtel Warwick, à deux pas du théâtre des Champs-Elysées.
Dans l'impossibilité de savoir si l'artiste regagnerait l'hôtel tout de suite après le concert, ou si elle irait dîner quelque part auparavant, nous décidâmes d'aller tout de suite sur place, afin d'être sûr de ne pas la manquer lorsqu’elle rentrerait dans le hall de l'établissement. Ce qui donnait au moins une chance de l’aborder au jeune homme liquéfié que j'étais, rougissant et bafouillant, recroquevillé sur un des canapés du hall de l’hotel.
Bien nous en prit, car très peu de temps après notre arrivée, Joni Mitchell en compagnie de son époux Larry Klein, de son groupe et de son management firent leur apparition et se dirigèrent vers la réception pour prendre leurs clefs.
Pratiquement poussés dans le dos par mes deux amis et tout en freinant des quatre fers, je parvins à me planter devant Joni Mitchell, et avant que son management ne fasse barrage, je pus balbutier quelques mots, en indiquant que j'étais l'auteur des choses qui lui avaient été remises à son arrivée.
Tant de décennies après ce moment, je suis encore frappé par le souvenir de mon premier contact avec elle : Joni Mitchell fut impressionnante de simplicité, de spontanéité, de gentillesse et de chaleur humaine. D'autant qu'elle venait de donner tout d'elle-même durant plusieurs heures sur scène, et néanmoins, malgré sa fatigue et le fait qu'elle n'avait même pas eu le temps de manger un morceau, elle m'invita sur le champ à la suivre dans ses appartements, pour commenter ce recueil de peintures qu'un petit Français inconnu au bataillon avait déposé à son intention, un jour auparavant.