L'Invisible Lien
Lors de la refonte de mon site entre 2020 et 2023, j’ai souhaité ajouter un préambule au chapitre “Historique“ consacré à la carrière de Joni Mitchell et au contexte de la création des peintures inspirées par sa musique qui avait occasionné nos rencontres. J’avais conçu cette introduction comme une sorte de panorama visuel et allégorique de ses albums studio, une évocation symbolique de l’extraordinaire itinéraire de la musicienne à travers ses jalons, de Song to a Seagull à l'album Shine.
En mai 2024, advint une chose assez remarquable, me sembla-t-il, pour qu’elle mérite d’être rapportée ici.
Il s’agit du visuel que j’avais choisi en 2022 pour évoquer l’album Clouds, sur la page qui précède.
Au préalable, est-il besoin de préciser qu’il existait mille façons possibles de montrer des nuages. Mis à part le sens générique du titre de l’album, venaient tout de suite à l’esprit les descriptions poétiques et imagées de la célébrissime composition Both Sides, Now, dernière piste du disque. Une sublime métaphore de la condition humaine, où Joni Mitchell décrit de façon si touchante et juste l’espoir naïf d’une vie toujours ensoleillée, mais que l’amoncellement des nuages obscurcit inévitablement. Nuages devenus les sombres hérauts d'un chaos qui laisse derrière lui nos rêves éparpillés et nos amours foudroyés par les orages nés de ces nébulosités d’infortune.
Les façons de montrer des nuages étaient donc à peu près aussi infinies que leur nombre dans le ciel. C’est dire.
Et pourtant, à l’écoute du disque et principalement de “Both Sides, Now“, tout de suite, une seule image s’était imposée : une photo que j’avais prise lors d’un trajet d’avion vers la Grèce. En voyage, je braque souvent mon appareil au-delà du hublot, photographiant le ciel et ses habitants.
Les nuages sur cette photo m’avaient instantanément fait penser à ces montagnes inoffensives de duvet douillet, blanches, immaculées, soyeuses et paisibles, et en même temps -telles que Joni Mitchell l’annonçait-, certaines d’entre elles, virées au noir, se dressaient menaçantes et hostiles, comme un augure des échecs et des désillusions que la composition évoque. Des nuages fidèles à ceux évoqués dans Clouds et sa composition-phare Both Sides, Now.
En mai 2024, au hasard de recherches menées sur un tout autre sujet, je suis tombé sur la page Wikipedia de la composition Both Sides, Now.
Je fus stupéfait en découvrant l'histoire de son origine, et du contexte qui l’avait inspirée à Joni Mitchell.
Je cite : “Mitchell a précisé que "Both Sides, Now" était inspiré d'un passage de “Le Faiseur de Pluie“, un roman de Saul Bellow paru en 1949. Elle déclare : “Je lisais... “Le Faiseur de Pluie“ dans un avion et au début du livre, Henderson (ndt : le héros) est également dans un avion. Il est en route vers l'Afrique et il regarde en bas et voit ces nuages. J'ai posé le livre, j'ai regardé par le hublot et j'ai vu aussi des nuages, et j'ai immédiatement commencé à écrire la chanson. Je n’imaginais pas qu’elle deviendrait aussi populaire qu'elle l’est devenue“.
La découverte de cette convergence entre la source d’inspiration de cette si émouvante parabole sur les nuages, et la nature de la photo que j’avais choisie pour l’illustrer me troubla beaucoup. Elle me sembla relever du domaine de l'Événement Synchronistique, tel que l'avait décrit Carl Jung.
Lorsque j’avais choisi cette photo pour mon site, prise de mon hublot à bord de ce vol de vacances depuis Paris vers Athènes en 2022, pas un instant je n'avais soupçonné que les nuages évoqués par Joni Mitchell étaient ceux qu’elle apercevait depuis le hublot d’un avion à haute altitude, ces “canyons de plumes“ flottant paresseusement au-dessus des continents.