Lorsque Hollywood parut, je rangeais la pochette originale, fis une maquette de la pochette telle que je l’avais rêvée (largement influencée, il faut bien le dire, par la sublissime pochette du non moins sublissime Madman Across The Water d’Elton John…), et y glissais le vinyl.
Il y est toujours resté, depuis.
Mon histoire avec Véronique Sanson, quelques décennies et quelques albums plus loin, s’est terminée par un joli rayon de soleil. En 2015, pour mon anniversaire, mes amis Isabelle et François, au courant de mon histoire, et qui par le plus grand des hasards connaissaient la musicienne personnellement, lui apportèrent un exemplaire du livre Les Années Américaines en lui narrant mon aventure avec sa maman. Ainsi, le jour J, Isabelle et François m’offrirent l’exemplaire, dédicacé par Véronique, avec des mots personnels et extrêmement touchants. J’en fus aussi remué qu’heureux.
Aujourd’hui, me restent de cette période de ma vie quelques gouaches bleues, un exemplaire de Hollywood que je suis absolument sûr d’être le seul à posséder sur la planète Terre, la musique de Véronique Sanson et un livre dédicacé.
Et le souvenir affectueux d’une dame avec qui je prenais de temps en temps le thé lors d’après-midis parisiens en 1976, et qui m’a prouvé être une grande dame, aussi humaine que sympathique.
Aux Etats-Unis, depuis le début des Années soixante, l’apparition des Joan Baez, des Judy Collins, des Laura Nyro, le carton de Carole King avec Tapestry, et pour finir les premiers albums totalement innovateurs de Carly Simon et de Joni Mitchell, à l'aube des Années soixante-dix, avaient clairement signifié que les choses changeaient.
Mais en France, début 70, on en était encore à Sylvie, France, Sheila qui chantaient ce que d’autres écrivaient pour elles ; et entre Greco et Barbara d'un côté, Françoise Hardy et les idoles Yéyés de l'autre, il n’y avait rien.
En 1972, comme la plupart des gens de mon âge, j’ai pris en pleine figure une drôle de chanson en forme de manifeste insolent : Besoin De Personne.
L’espace d’un single, la France était passée sans s’en rendre compte de l’ère Yéyé à l’ère Pop-Rock. L’album qui suivit confirma l’essai : l’auteure était blonde, paraissait fragile (je dis bien : paraissait), une voix avec un drôle de vibrato impossible à oublier, mais surtout, surtout, elle composait.
Elle ne se contentait pas de chanter merveilleusement : elle écrivait ses paroles et sa musique.
À l’époque, aucune chanteuse ne le faisait en France -à part Françoise Hardy, occasionnellement, et dans un registre plus "Folk" que "Pop/Rock", et Barbara, elle-même emblème d’une chanson française de tradition dite à texte, peu apparentée à la Pop ou au Rock n’ Roll.
Jusqu’au jour où, tout d’un coup, il y eut Véronique Sanson.
C’est cette particularité qui m’a fait m’intéresser, dès le début, à cette artiste.
Ce que j’entendis alors me fascina tout de suite et me sembla unique en raison de la qualité et de l’originalité des compositions, de la voix, du phrasé, des textes : la nouvelle venue fut la seule à pouvoir s’imposer sur ma platine aux côtés des Elton John, des Cat Stevens et des Bowie -et un peu plus tard, aux côtés de Carly Simon et de Joni Mitchell.
Comme chez ces auteurs, c’était la musique et les mots de l’interprète que j’entendais, pas ceux d’un autre. Bien sûr, en ce qui concerne Elton John, il ne m’avait pas échappé que Bernie Taupin écrivait les lyrics, mais d’une part les deux Anglais étaient totalement fusionnels comme Lennon/McCartney l’avaient été, et d’autre part, le génie d’Elton John sur un plan musical faisait qu’on pouvait facilement lui pardonner de n’être l’auteur que des musiques –après tout, Gershwin ou Chopin ne s’étaient jamais essayés aux mots, eux non plus !...
Venant juste d’avoir mes peintures utilisées par Elton John pour sa tournée 74, je m’étais mis en tête fin 1975 de contacter Véronique Sanson, pour créer la pochette d’un de ses futurs albums.
Je ne voulais pas passer par la maison de disque, mon expérience avec Elton John m’ayant enseigné que mieux valait d’adresser au bon dieu qu’à ses saints.
Comme souvent, ce fut grâce à des indices donnés par la presse que je finis par trouver l’adresse de Véronique Sanson, ou du moins de ceux que je devinais être les personnes les plus proches d’elle, à savoir ses parents (elle-même étant inaccessible, puisque devenue la petite fiancée de l’Amérique avec son départ aux Etats-Unis, qui avait suivi son mariage éclair avec Stephen Stills).
Les indiscrétions des journalistes, conjuguées à des recoupements effectués dans les pages du bottin, me permirent de localiser la résidence de Monsieur et Madame Sanson.
Armé de mon courage -et mes parutions Elton John sous le bras-, je pris un jour l’ascenseur de cet immeuble cossu du XVIeme arrondissement de Paris, et sonnait à la porte de l’appartement du cinquième étage que m’avait indiqué la concierge.
Une dame m’ouvrit.
Je sus tout de suite à qui j’avais affaire : ce ne pouvait être que Madame Sanson, tant la ressemblance était frappante.
Plus rouge qu’une pivoine (sur ce point précis j’avais connu le baptême du feu avec mon séjour devant le portail d’Elton John et l’arrivée de Tony King…), j’expliquais ce que je faisais là à cette dame en face de moi, une dame qui me regardait plus ou moins éberluée, mais tout de même un peu amusée, je le sentais bien.
Je finis par lui tendre (en faisant tomber la moitié par terre) la documentation que j’avais amenée sur mon travail. Madame Sanson fut assez aimable pour prendre ces choses, nota mon téléphone et m'assura qu’elle parlerait à sa fille de ma venue.
Quelques temps plus tard, sans nouvelles, je finis par téléphoner à Madame Sanson (qui m’avait confirmé le numéro de téléphone que j’avais trouvé dans le bottin). Elle fut assez aimable pour me proposer de repasser chez elle.
C’est ainsi que débuta toute une série d’entretiens avec Madame Sanson, qui m'ont suffisament marqué pour qu'après quatre décennies, j'en garde un souvenir aussi ému que vivace.
La mère de Véronique Sanson fit absolument tout pour que je réussisse à produire des peintures pour sa fille, et même si cela ne « marcha » pas en définitive, je lui suis toujours reconnaissant à ce jour de ses efforts, de son extrême gentillesse et de sa totale bienveillance à l’égard de la démarche de quelqu’un qui n’était pour elle, après tout, qu’un inconnu.
Tout au long de 1976, à peu près tous les deux mois en moyenne, je pris l’habitude d’aller voir Madame Sanson l’après-midi, durant une heure ou deux, pour la tenir au courant du stade d’avancement de mon travail. Elle m’avait appris que la sortie du prochain album de sa fille était prévue pour le courant de l’année 1977.
Pour m’aider, Madame Sanson me donna accès à tout un ensemble de photographies fournies par la maison de disque, qu’elle me remis à l’issue d’un de nos rendez-vous dans un enveloppe bleue adressée à son époux. J’ai perdu la presque totalité de cette documentation mais j’ai toujours l’enveloppe et quelques tirages en ma possession.
Lorsque j’arrivais chez elle, Madame Sanson m’entraînait en général dans la cuisine et me faisait m’asseoir en face d’elle autour de la table, et me proposait du thé ou du café. Et elle me parlait de sa fille, me racontant tout un lot d’anecdotes, voyant en face d’elle un public conquis d’avance avec des étoiles dans les yeux, ce qui devait l’amuser, et en même temps l’émouvoir car elle adorait sa fille, d’un amour absolu et empreint de fierté et d’admiration.
Je la questionnais bien sûr, et je me souviens que lorsqu’elle me parlait de la vie de sa fille aux Etats-Unis et de son gendre, elle parlait de Stephen Stills en disant « l’Américain », et son visage alors changeait d’expression et sa mine se renfrognait.
Elle ne faisait pas mystère de ce qu’elle-même et son époux pensaient de Stills, et du coup enchaînait sur les circonstances du départ abrupt de sa fille, du désarroi de sa famille et de celui de Michel Berger et de ses proches.
À une occasion, Madame Sanson m’avait beaucoup fait rire en me disant que, s’il y avait bien une chanson dans le répertoire de sa fille qu’elle n’avait jamais aimé, c’était justement Besoin De Personne, car elle désapprouvait ce que sa fille y disait.
"Comment Véronique a-t-elle bien pu chanter des choses pareilles", s’interrogeait-elle en fronçant les sourcils, et continuait en martelant: “Quand son père et moi avons entendu ça la première fois, vous-vous doutez bien de l’effet que cela a pu nous faire, et on le lui a dit, du reste! Parlez-moi plutôt de l’album Vancouver, oui, là, c’est autre chose, on adore!”. Évidemment j’avais pris la défense de Besoin de Personne –même si j’étais d’accord sur Vancouver-, et je ne pouvais m’empêcher de sourire en entendant cette maman me parler des œuvres de sa fille, qui faisaient vibrer des centaines de milliers de fans en France, en mettant une mauvaise note à ce morceau, et ce sans discussion!... C’était très touchant d’entendre Madame Sanson parler de sa fille, et ce le fut à chacune de nos rencontres. Je garde ainsi de ces quelques moments passés auprès de Madame Sanson un souvenir aussi attendri que respectueux.
Elle m’avait autorisé à prendre quelques photos de son petit chien blanc et du piano à queue dans le salon, où son époux avait appris à jouer à Véronique. Les smartphones et cette manie actuelle de faire une photo pour un oui ou pour un non de tout et n’importe quoi étaient encore dans les limbes à l’époque -nous étions en 1976-, et donc je n’ai jamais osé lui demander de la prendre en photo ; alors je l’avais dessinée en rentrant d’un de nos rendez-vous, pour garder un souvenir visuel d’elle.
Vers l’été 1976, ayant presque terminé mes peintures, j’en montrais certaines à Madame Sanson qui je crois les aima assez pour accepter de les montrer à Véronique. Je crois que je n’avais pas laissé d’originaux ; la musicienne n’étant pas à Paris, cela n’aurait servi à rien ; mais il me semble que j’avais remis à sa mère des petites reproductions pour qu’elle les fasse parvenir à Véronique Sanson. Mais je n’en suis plus très sûr.
Quoi qu’il en soit, nous n’eûmes pas de réaction, et Madame Sanson, lorsque je la rappelais ou lorsque je passais la voir, m’expliquait alors invariablement que sa fille menait une vie de dingue, n’avait pas une minute à elle et préparait son album (qui avait pris du retard, puisqu’il ne sortirait finalement qu’à l’automne 1977).
Finalement, lors d’un séjour de Véronique Sanson en France à la fin de l’été 76 (je crois), Madame Sanson me donna le numéro de téléphone de sa fille à la campagne, (je crois bien que c’était à l’époque à Orgeval), pour que je puisse m’entretenir directement avec elle. Ce que je fis ; j’appelais, tombais sur un monsieur à qui j’expliquais que j’appelais de la part de Madame Sanson, et qui me dit de rappeler ultérieurement car Véronique était occupée. Je parvins à parler à Véronique Sanson au bout de plusieurs rappels. J’étais très ému d’entendre à l’autre bout du fil quelqu’un qui m’avait autant inspiré et que j’admirais tant. La musicienne fut très aimable, mais me fit comprendre qu’en fait elle n’avait pas eu le temps de regarder quoi que ce soit, et me dit que sa maman me tiendrait au courant.
Le temps passa… et rien ne se passa.
Finalement, à l’automne 1976 je revis un jour Madame Sanson qui m’annonça, la mine déconfite, que sa fille était réticente car elle trouvait que sur mes peintures « elle ressemblait à la sorcière de Blanche-Neige »… Rétrospectivement, ces paroles de la maman de Véronique Sanson m’amusent beaucoup, déjà à l’époque j’avais trouvé la comparaison… imagée ! Même si le verdict et ses conséquences pour mon projet de pochette, eux, m’avaient moins fait sourire.
Je persistais et refis une ou deux peintures, les montrais à Madame Sanson. Je n’eu plus de nouvelles. Je lui envoyais mes vœux début 1977, et je finis par recevoir un courrier du secrétariat de Madame Sanson.
Soudain un télégramme vient m'annoncer
Que tout est dans le lac
Véronique Sanson – On M’attend Là-Bas – Le Maudit
Hé oui, tout était bien dans le lac… Et Madame Sanson m’avait démontré, une fois de plus, sa gentillesse et son attention, en me tenant au courant, avec des mots encourageants, même si les nouvelles au final n’étaient pas celles espérées.