Cela étant, et ce n’est qu’un avis très personnel, les albums The Hissing of Summer Lawns, Hejira, Don Juan's Reckless Daughter et Mingus constituent les quatre piliers sur lesquels repose l'œuvre de Mitchell.
Piliers, et pas forcément sommets. Ce en raison de ce que ce dernier terme implique pour les œuvres ayant succédé à ces pics d'excellence, cette postérité descendant dès lors nécessairement une pente, et par conséquent s'assimilant à une sorte de déclin. Ce qui n'est pas du tout le cas concernant la suite de l'œuvre de Joni Mitchell. Car l'artiste a démontré, avant ces quatre albums et par la suite, avec des œuvres différentes et parfois aussi, c'est vrai, moins homogènes, que le génie qui la caractérise était bien là, et l'était resté.
À dessein, je n'inclus pas dans ce cycle d'albums "de référence" (de The Hissing of Summer Lawns à Mingus), le séduisant, soyeux et plus-que-parfait Court & Spark, qui annonce l'accomplissement des métamorphoses à venir, mais en raison même de sa lisse perfection, demeure en deçà de leur radicale créativité ; ni l'impressionnant Shadows & Light de 1980, puisque l'album fut enregistré live en 1979 au County Bowl de Santa Barbara, et ne comporte donc pas de compositions originales -même s'il représente la quintessence de l'art de Joni Mitchell sur scène, avec la complicité des fabuleux magiciens du "Jazz-Rock Fusion" que sont Pat Metheny, Michael Brecker et Jaco Pastorius.
La production des années 80, décennie que Joni Mitchell pressentait "moche" et catastrophique (et elle le fut, à l'exception de l'oasis que représente sa rencontre et son mariage avec le bassiste, compositeur et arrangeur Larry Klein), est considérée par certains comme trop hétéro-
clite, et cédant aux modes et aux facilités du "gros son" de l'époque –analyse que je ne partage pas. En effet, les trois albums appartenant à cette famille sont objectivement très intéressants, et superbement cohérents lorsqu'on les considère individuellement. Simplement, cette famille d'albums est moins "lisible" que la précédente, car les œuvres qui la composent semblent plus indépendantes les unes des autres, et le fil conducteur évident qui reliait, par exemple, Hejira à Don Juan's Reckless Daughter et ce dernier à Mingus est beaucoup plus ténu entre les disques de cette trilogie des années 80.
Ainsi, la dynamique évolutive qui caractérisait, à la sortie de chaque album, toutes les étapes de recherche entamées à partir de For The Roses (avec notamment la collaboration avec le L.A Express de Tom Scott, la rencontre avec John Guerin, l'ouverture aux idiomes musicaux employés par Methény et Pastorius et l'apothéose Mingus), si elle existe, est ici beaucoup moins flagrante.
Premier album studio des "Eighties", Wild Things Run Fast est l'album "retour aux sources" de 1982 qui signe un Rock mâtiné de Jazz, et non plus un Jazz-Rock d’expérimentation comme celui amorcé avec Court & Spark et sublimé par la suite en Jazz tout court. Globalement moins abouti que, justement, Court & Spark, il n'en contient pas moins ses moments de grâce, avec des morceaux exceptionnels comme Chinese Cafe, Moon at the Window, Be Cool et Love.
L'album Dog Eat Dog qui lui succède en 1985 est réputé souffrir de la production de Thomas Dolby, jugée envahissante et privilégiant le "gros son" artificiel caractéristique des "Eighties" au détriment des compositions et du chant.