1975.
Mes parents ne supportaient pas Patti Smith.
Tout en elle les rebutait, la voix, le look, la musique et ce que ma mère appelait "ses hurlements hystériques".
J’adorais ça. Les hurlements –et ceux qu’ils provoquaient chez ma mère.
Je passais Horses l’ampli à fond, en 1975. À l’époque, mes pauvres parents avaient dû s’habituer à supporter mon attirail transgenre à la Bowie, mes pompes Elton John à plateformes et talons (que mon père considérait avec horreur comme la preuve définitive de ma perversion), et maintenant ils devaient en plus faire avec mes cheveux longs et des jeans noirs aussi élimés qu’étriqués, avec cette ridicule petite cravate noire trop étroite et mal nouée pendouillant misérablement sur une chemise blanche trop ample et déchirée : désormais, j’idolâtrais Patti Smith aussi. Comme tout le monde à mon âge.
Ils me trouvaient débile. J’étais juste jeune.
J’avais entendu parler de Horses dans la presse avant la sortie de l’album, mais pas dans la presse française car jouissant du privilège de comprendre plus ou moins l’anglais (j’étais en cela redevable de mes longues heures passées sous les draps avec une lampe de poche, où au lieu de dormir j’essayais de comprendre les paroles des chansons écrites par Bernie Taupin, le parolier d’Elton John, ou celles de Bowie), j’avais accès directement aux publications anglaises et américaines telles que Melody Maker, Sounds, New Musical Express et Rolling Stone -donc aux premières loges concernant l’actualité de la prochaine "big" star.
Ainsi, la première image publique de Patti Smith à laquelle je fus confronté fut le célébrissime cliché de Horses par Robert Mapplethorpe, que certains petits articles reproduisaient lorsqu’ils abordaient cette mystérieuse nouvelle figure du rock surnommée par les journalistes anglo-saxons "la version américaine de Rimbaud". "Le petit Rimbaud du Rock", répèterait ensuite à l’envie la presse française.
Bon, moi je ne savais pas comment on pouvait bien l’appeler. J’étais simplement très intrigué. Et fasciné, déjà. Était-ce une fille, un garçon ? On se demandait. Mais quoi qu’il ou elle puisse être, ce qui s’en dégageait était juste du jamais vu.
Et du jamais entendu, dès que l’album a fini par atterrir à la Fnac. Je l’ai acheté le premier jour, et ai arraché un exemplaire de son bac à la première minute où le disquaire y déposait sa pile. Je l’ai passé. J’ai écouté. Un choc. Je ne suis pas tombé amoureux du premier album de Patti Smith comme cela avait été le cas du Ziggy Stardust de Bowie ou du "Black Album" ou de Madman Across The Water d’Elton John, non, je me suis pris cet album comme on prend une porte sur la figure.
Force.
Puissance.
Sens.
Profondeur.
Irrespect.
Solitude.
Violence.
Poésie.
Musique.
Incantations. Hypnose totale.
Horses s’est donc incrusté sur ma platine, par nécessité. Ma mère continuait à hurler. Par réflexe -bref, la routine. Horses était une drogue... bien que je n’ai eu aucune idée à l’époque du double-sens du mot Horses dans l’anglais courant. Mais dès que j’en pris conscience, je jure que jamais titre ne se révéla plus adéquat…
Les années ont passé, pas l’addiction.
Quoi qu’aient pu dire les critiques par la suite des nouveaux enregistrements de Patti Smith, que Radio Ethiopia, Easter ou Wave aient été descendus ou encensés, moi j’ai continué à adorer Patti Smith quoi qu’elle fasse, sa voix, son attitude, sa poésie, sa musique.